Les premiers pas d’une Bientraitance hospitalière
Longtemps, et jusqu’à récemment (1980), les chirurgiens et les médecines ont cru que les bébés ne ressentaient pas la douleur. « Le petit enfant, disait-on, était trop immature, la douleur ne pouvait pas être ressentie et même s’il la ressentait, il n’en souffrait pas comme un adulte et sûrement l’oubliait très vite »(1). Cette croyance était dû au fait qu’ils ne réagissaient pas de façon explicite lors d’actes chirurgicaux, et par conséquent ils étaient considérés comme des non souffrants (2).
Pendant des décennies les bébés ont été opéré sans analgésie ni anesthésie. Cette croyance selon laquelle le nourrisson est incapable d’une sensation et d’une perception douloureuse a été également entretenue par des méconnaissances sur « les mécanismes de transmission de la douleur, sur les capacités de réponse des nourrissons et sur les incertitudes autour de leur mémoire » (3). En plus des suppositions non fondées citées ci-dessus, d’autres raisons ont contribué au défaut de prise en compte de la douleur du nouveau-né ; parmi celles-ci on compte les difficultés à évaluer la douleur chez les enfants en âge pré-verbal, la crainte des effets secondaires des traitements médicamenteux, et la formation parfois inadéquate et ou insuffisante du personnel médical et paramédical (4). De nos jours, j’ai pu observer en Néonatalogie que ces représentations sur la douleur de l’enfant ne faisaient plus partie des pratiques et théories médicales. En effet, la prise en charge de la douleur du nourrisson fait partie des objectifs généraux de l’hôpital et le personnel soignant porte une grande attention à la souffrance du nouveau-né.
Ainsi pendant longtemps les médecins et psychologues se sont interrogés non sur la réalité de la souffrance, car ils s’en doutaient, mais sur la capacité de l’enfant à l’intégrer. Le Docteur K.J.S ANAND, en 1987 est le premier à mettre en marche la prise de conscience vraie de la souffrance et de la douleur du nourrisson et à établir : « que l’enfant dès sa naissance a un système nerveux capable de transmettre le message douleur au cerveau » (5). Néanmoins, le stade de maturation du nourrisson ne permet pas encore un seuil de réactivité à la douleur égal à celui de l’adulte, les enfants de moins de un an réagissent donc moins qu’un adulte face à une douleur égale. Aussi, il a été démontré que l’enfant peut conserver un souvenir en mémoire d’une expérience douloureuse. J’ai souvent eu l’occasion de rencontrer des enfants terrorisés par l’hôpital, le soin et le personnel a cause d’un souvenir douloureux à l’Hôpital. Un souvenir d’une douleur physique mais aussi psychique qui va influencer son comportement et son état émotionnelle lors d’une prochaine hospitalisation.
Les progrès en termes de recherche fondamentale ainsi que les nouvelles thérapeutiques qui sont apparues ces dernières années ont donc contribué à ce que l’on peut appeler une véritable révolution dans la prise en charge de la douleur des jeunes enfants. L’apparition de ces nouvelles pratiques a été accompagnée d’un mouvement de réflexion innovant qui allait également changer la façon d’accompagner l’enfant dans les services de pédiatrie. Il y a 50 ans, le 5 décembre 1958, la publication de la première circulaire « relative à l’humanisation des hôpitaux » marquait une étape nouvelle dans le processus d’adaptation de l’hôpital aux évolutions de la société. L’objectif étant une profonde réforme de l’hôpital pour tenter de l’adapter aux nouveaux modes de vie, à la sensibilité et aux attentes de la population. Une humanisation caractérisée par la volonté : « [d’acquérir] d’autres façons de regarder, d’écouter les patients, de leur parler » (6).
A l’époque les enfants accueillis en Pédiatrie « étaient dépouillés de leurs vêtements habituels, attachés à leur lit parfois jusqu’à l’âge de deux ans, les bébés étaient corsetés, les séjours étaient souvent très long et les visites des parents limités par des plages horaires réduites » (7). Les soins visaient a assurer la survie physique des enfants et concernaient le strict nécessaire : laver, nourrir, panser ect… Les séquelles psychologiques que ces séjours à l’hôpital engendraient chez l’enfant ont commencé par être dénoncé sous le terme d’hospitalisme (8).
C’est à ce moment même que l’on a commencé à constater la mobilisation toute neuve du personnel soignant, des médecins et des psychologues pour une transformation du séjour hospitalier des enfants. La présence des parents s’imposait peu à peu, les bébés étaient libres de toutes contraintes dans des grands lits, et ils étaient même accompagnés de leurs jouets.
L’intégration des psychologues dans les équipes hospitalières a joué un rôle fondateur dans l’évolution globale de l’hospitalisation de l’enfant et du regard que les soignants portaient sur lui. En effet, ils ont été de « véritables passeurs des connaissances d’une développement psycho-affectif et cognitif de l’enfant, indissociablement lié à son histoire et son environnement » (9). Ils ont conduit les services et les professionnels de Pédiatrie a considérer l’enfant non pas comme un simple malade présentant des symptômes, mais comme un être singulier, avec une histoire, une identité, en travaillant dans le respect de la dimension individuelle, familiale et environnementale de chacun des ces enfants. Les recherches des psychologues concernant le jeune enfant ont donc permis de mettre en marche une compréhension de l’enfant, de ce petit être en construction.
L’humanisation de la Pédiatrie hospitalière part donc d’un questionnement mené sur le bien-être ou le mieux être de l’enfant hospitalisé, de l’enfant présentant une douleur physique ainsi qu’une souffrance psychique. On peut voir dans cette évolution des pratiques hospitalières, qui tend à diminuer la souffrance de l’enfant en considérant ses besoins et en l’accompagnant avec plus de respect, les premiers pas d’une Bientraitance en service de Pédiatrie. Aujourd’hui nous pouvons donc qualifier l’humanisation des hôpitaux, d’ancêtre de la Bientraitance.
(1) TWYCROSS Alison, MORIARTY Antony et BETTS Tracy Prise en charge de la douleur chez l’enfant, une approche multidisciplinaire Edition MASSON, 2002, p.4
(2) CHALON Patricia La Bientraitance Edition MARABOUT, 2007, p.147
(3) et (4) TWYCROSS Alison, MORIARTY Antony et BETTS Tracy Prise en charge de la douleur chez l’enfant, une approche multidisciplinaire Edition MASSON, 2002, p.4
(5) CAZABAN Joëlle La douleur chez l’enfant : physiologie, épidémiologie, perspectives In Cahiers de la puéricultrice, juin 2003, n° 168, p. 13
(6) SAOUT Christian Préface au catalogue de l’exposition : l’humanisation de l’Hôpital. Mode d’emploi Paris : Musée de l’AP-HP, 2009-2010 sur http://www.aphp.fr
(7) TWYCROSS Alison, MORIARTY Antony et BETTS Tracy Prise en charge de la douleur chez l’enfant, une approche multidisciplinaire Edition MASSON, 2002
(8) Hospitalisme : Terme utilisé par le psychanalyste René Arpad Spitz pour décrire les troubles du comportement et du développement des jeunes enfants séparés de leurs mère et souffrant de carences éducatives, affectives et sensorielles.
(9) TWYCROSS Alison, MORIARTY Antony et BETTS Tracy Prise en charge de la douleur chez l’enfant, une approche multidisciplinaire Edition MASSON, 2002